Les tomates ne sont plus à la fête (15/07/2008)

10e fete de la tomate.jpgCe samedi les Genevois feront la fête à la tomate à Carouge. Entre le hangar de l'Union maraîchère, celui du marché de gros et les halles des derniers importateurs genevois de fruits et légumes, la fête de la tomate offrira encore pour son dixième anniversaire son plein de demi-vérités à une population volontiers romantique pour qui la campagne c'est comme "Martine à la ferme": une basse-cour, un cheval, quelques vaches, un chien, un chat, un couple de tourterelles, des blés d'or, une portée de souris et un potager. Sans limaces.

 

Les producteurs et les commerçants ne font rien pour détourner le bon peuple de cette image d'Epinal. Ils font même tout pour la conforter à grands coups d'affichage et de dégustations du terroir, de fêtes villageoises. Le brunch du 1er Août, le tourisme à la ferme,  les caves ouvertes, les stands agricoles à la Foire de Genève concourent tous à cette politique de communication bucolique. Imagine-t-on nos banquiers, en panne de sympathie, plus encore que les paysans, faire la fête sur la place de la monnaie et dresser des bancs de change et de pesée de pièces d'argent?

Donc ce samedi, place aux produits du terroir, "de la région" comme dit la Migros, qui par définition ne consomment pas de pétrole. Certes l'on verra comme chaque année une petite intrusion de la modernité: sous un tunnel plastique, une alignée de plants de tomate grappe puisant leur nourritures dans des packs de coco exotiques et inertes et dont le jus alimentaire savamment dosé par ordinateur est recyclé. Une toute petite partie en fait de la technologie qu'il faut mettre en oeuvre désormais sous cloche de verre pour produire des tomates labelisables grandes surfaces.

Pas un mot évidemment sur les litres de pétrole ou de gaz que ce genre de culture engloutit en début de saison. Les plants greffés importés d'Israël ou de Hollande sont mis en place dès la fin janvier, réchauffés à 15 degrés au moins pour produire les premières tomates du terroir en avril déjà, quand celle des jardins ne rougissent qu'en août. Sous serre - l'Union maraîchère ne commercialise plus les tomates sous plastique dont la qualité est trop disparate - la culture de tomate dure jusqu'en octobre, quand leur cousine des jardins n'offrent plus que des fruits verts.

Ce modèle économique qui fit la gloire sinon la fortune des maraîchers genevois - les risques sont énormes et les banquiers qui acceptent de financer se garantissent avec des hypothèques classiques et non sur la foi du business plan - est en passe d'être terminé. Le prix du pétrole renchérit certes l'importation des fruits et légumes, mais pas autant que le chauffage des serres de janvier à avril et parfois même en mai et juin quand la météo fait chuter la température au-dessous des 15 degrés.

Ce qui menace davantage encore la culture des tomates made in Geneva, c'est l'ALEA. Point de hasard sous cet acronyme mais une politique désormais sur les rails de PA 2015. Et même plus tôt si l'on en croit Doris Leuthard poussée par l'industrie d'exportation et même les banquiers qui voient dans le futur accord de libre échange des produits agricoles avec l'Union européenne le sucre qui permettra peut-être de retarder encore la fin du secret bancaire en cas de soustraction fiscale. 

Quant aux grands distributeurs, ils tiennent deux fers au feu. Trois quarts des ventes de fruits et légumes passent par Coop qui a mangé Carrefour et Migros qui a mangé Denner. D'une part il ne sont pas pressés de libéraliser le marché des denrées alimentaires et misent à fond sur la région, entretenant des particularismes cantonaux désuets Migros Zurich qui était un traditionnel gros client de l'Union maraîchère de Genève boycotte depuis deux ou trois ans les tomates genevoises au profit de celle "de la région". Tandis que Coop déjà intégrée dans une centrale d'achat européenne avec le Français Leclerc et l'Allemand Rewe considère la Suisse à sa juste dimension, celle d'une région européenne, où rien ne justifie que les prix soient plus élevés qu'ailleurs. En matière de fruits et légumes, ils ne le sont d'ailleurs plus beaucoup, voire plus du tout selon la saison. L'Union maraîchère qui est prête à s'allier avec ses homologues vaudois et valaisans pour faire face aux distributeurs oligopolistiques se demande même si elle ne livrera pas un jour en France voisine.

Bref que ce soit pour des raisons énergétiques ou pour des raisons politiques et économiques, la culture de tomates à la mode d'hier semble condamnée à Genève. Un rapport publié l'an dernier à ce sujet ne laisse en tous cas guère de doute.

C'est peut-être la raison qui a conduit le ministre vert Cramer, grands amis des agriculteurs, à pousser la construction d'immeubles jusqu'à Saint-Julien sur toute la plaine de l'Aire, jadis terre maraîchère de qualité. Quant aux maraîchers de Troinex, autres terres maraîchères gagnées sur les roselières durant la dernière guerre, ils ne peuvent qu'espérer le succès des anti-Ceva et l'installation, à Bossey, sur leurs vieilles serres d'une des gares ferroviaires du futur RER.

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