La fête de la laïcité. Opportune? (24/04/2007)

A l'occasion du 100e anniversaire de la séparation de l'Eglise et de l'Etat de Genève , le parti radical annonce une fête de la laïcité le 28 juin au restaurant du Parc des Bastions. "En présence de prestigieux invités", précise l'invitation.  Qui sont donc les prestigieux? Couchepin peut-être, Mgr Genoud, évêque de Genève, ou Hafid Ouardiri, reconverti dans la libre pensée après son licenciement de la Mosquée?

Notez qu'on parle toujours de la séparation de l'Eglise (au singulier) et de l'Etat. A Genève on se demande donc de quelle église la République s'est séparée en 1907. Sûrement pas de l'église catholique romaine. En effet, celle-ci avait été "privatisée" plus de 30 ans plus tôt par le régime du radical Carteret. Un épisode peu glorieux de l'histoire de notre République.

Rappelons les faits. En 1873, Rome fait mine de rétablir un évêque à Genève en nommant le Carougeois Mermillod vicaire épiscopale. L'affaire enflamme la Suisse et la précipite dans le Kulturkampf qui fait rage en Allemagne entre Bismark et le Zentrum (le parti des catholiques). Le Conseil fédéral expulsa Mgr Mermillod. A Genève, Carteret interdit aux catholiques l'accès à leurs lieux de culte, une manière de confiscation de leurs biens.

Les catholiques romains vivaient donc la séparation de fait depuis plus de 30 ans, quand le peuple genevois vota le 15 juin 1907, du bout des lèvres - c'était la troisième tentative - la rupture des liens organiques et naturelles entre les institutions religieux et la République. Ironie du sort, c'est à la suite de cette votation que les paroisses catholiques recouvrèrent partiellement la propriété des biens confisqués, à condition qu'ils soient affectés au besoin du culte.

La séparation libéra donc de la tutelle politique non pas l'Eglise romaine, mais l'Eglise de la Rome protestante (nommée alors nationale protestante) et l'Eglise catholique chrétienne, forgée de toute pièce par le Conseil d'Etat, dans laquelle le pouvoir politique radical voulait enrégimenter tous les catholiques du canton restés fidèles à Rome.

Les défenseurs de la liberté de conscience n'étaient alors pas dans le camp que l'on croit. On vit plusieurs maires (ils étaient alors nommés par le Conseil d'Etat) destitués pour avoir refusé d'obtempérer aux ordres iniques du gouvernement. Privés de leurs églises, les catholiques se réunirent dans des granges puis construisirent des chapelles privées (dites de la persécution), dont il reste un témoignage à Collex (photo) . Il fallut attendre la mort du controversé chef radical, le 28 décembre 1889, pour que la paix confessionnelle revienne à Genève.

Un mot encore. La séparation genevoise de 1907 ne fut pas la victoire des anticléricaux contre les papistes comme ce fut le cas en France deux ans plus tôt. Mais le souhait, au contraire, des protestants libéraux, auxquels se sont associés les catholiques romains. On vit même des anticléricaux voter contre la séparation afin de maintenir une tutelle politique sur les Eglises et un droit de regard notamment sur la nomination des prêtres et des pasteurs. La question divisa alors tous les partis politiques.

Faut-il en fêter la séparation cent ans plus tard?

Je préfère la proposition des Fac de droit, de lettres et de théologie de l'université qui invite à réfléchir à "Un siècle de séparation des Eglises (aux pluriels) et de l'Etat" les 8 et 9 juin prochain.

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